Un élu pittoresque

Victor Beaussieux, premier maire de Noisy-le-Roi sous la Troisième République, Républicain convaincu et ardent laïcard, connu dans les bureaux de la Préfecture et dans toute la région pour sa truculence et son dynamisme, par ailleurs jardinier de son état, désirait par-dessus tout rencontrer le Président Félix Faure. Comme, malgré moult démarches, il n’obtenait pas satisfaction, il décida de passer à l’action directe.

Acte I. Une partie de chasse mouvementée.

Félix Faure aimait chasser et venait souvent en train à Marly se livrer à son sport favori. Un jour de chasse, Victor Beaussieux, à la tête de la fanfare municipale, se rend à pied à la gare de Marly. Le Président descend de son train spécial pour gagner sa calèche, quand retentit une vibrante Marseillaise.  Le chef de l’État demande ce qui se passe : « le maire d’une petite commune voisine désire vous saluer ». Agacé, Félix Faure se contente d’un petit signe distant et lance « un merci, mon ami » à Beaussieux qui s’avançait, sourire aux lèvres et main tendue.

Furieux de la rebuffade, notre maire décide de gâcher la journée : la fanfare noiséenne fait irruption dans le pavillon où le président déjeune avec sa suite, on la renvoie à grand peine.

Toutes ces émotions ont asséché la gorge de nos musiciens qui partent se rafraîchir ; le bon vin de France inspire alors à Beaussieux une idée diabolique : il fait défiler la fanfare dans les tirés au grand dam des chasseurs qui voient le gibier s’égayer dans toutes les directions. Bon prince, Félix Faure ordonne « Promettez à ce maire tout ce qu’il demandera, mais qu’il nous foute la paix ! ».

 

Chasse à tir à la faisanderie de Compiègne par Ange-Louis Janet – Salon de Paris de 1865.

 

Acte II. Un accueil mouvementé à Noisy-le-Roi.

Après une longue attente, l’humble supplique du maire « que le train présidentiel s’arrête dans notre gare pour que nous puissions saluer le Chef de l’État » est enfin exaucée.

Le grand jour arrive ; Beaussieux, en redingote et haut-de-forme, suivi de la fanfare, s’installe sur le quai. La sonnerie signale l’arrivée du train présidentiel, mais le chef de gare surgit et prie « M. le Maire et ces messieurs de bien vouloir se retirer dans la salle d’attente ; le train présidentiel ne s’arrêtera pas, il ralentira seulement et j’ai ordre de fermer la porte à clé ».

Beaussieux s’étrangle de fureur. « Ah ! Le Président ne tient pas ses promesses ! Tout le monde sur les rails ». Stoïques, les musiciens descendent sur le ballast tandis que le chef de gare se précipite pour actionner le signal d’alarme. Il était temps, le train apparaît, ralentit, s’immobilise enfin. Beaussieux escalade le marchepied, Félix Faure s’avance, étonné de cet arrêt imprévu, mais n’a pas le temps de parler. D’une voix brisée par l’émotion, le maire déclame « M. le Président, je vous apporte le salut de votre fidèle population noiséenne » et gratifie le Chef de l’État d’une accolade républicaine sonore et odorante : Victor Beaussieux, de notoriété publique, avait un faible marqué pour le gros rouge et le saucisson à l’ail….

Félix Faure eut le bon esprit de rire et serra chaleureusement la main de son admirateur. Le train repartit ; sur le quai, la larme à l’œil, un large sourire aux lèvres, Victor Beaussieux agita longuement son gibus : il venait de vivre le plus beau jour de sa vie.